Le parking, étage 63
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Panther Watercar

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Message par Admin Lun 30 Juil - 15:59

Panther méditait souvent au volant. Elle avait hérité de sa marraine une Watercar Panther et en avait tiré son nom. Cette voiture était ce qui la rapprochait le plus de l’objet de son obsession.
Panther était persuadée qu’elle appartenait au monde marin et ça la rendait dingue de s’auto-cloîtrer dans une métropole. Ça sentait ni l’iode, ni le sel, et encore moins les algues. Excepté si les algues en décomposition avait une odeur de caniveau. Au lieu de ce panel, elle se débarbouillait en rentrant le soir à grands coups d’eau glacée. Elle frottait pour dissiper la pellicule graisseuse qui recouvrait toute peau ayant été en contact avec l’air et savait pertinemment que l’eau froide était sans doute la technique la moins efficace. Mais elle refusait de s’asperger d’eau chaude, ou pire, tiède, comme l’air des rues ornées de bitume et de bitume.
Elle savait qu’elle connaissait la sensation d’être immergée jusqu’aux épaules dans un espace beaucoup trop grand pour en appréhender la taille, de nager en évitant les algues indécises et boursouflées. D’en recueillir une au creux des mains, la laisser flotter et s’animer dans cet enclos protecteur et tenter vainement d’ôter les infimes grains de sable brillants collés à ses feuilles vertes translucides traversées par le soleil sous la surface. Observer la couleur de sa peau baignée du moiré de la lumière forte qui pique les yeux. Si les algues avaient un cerveau, qu’est-ce qu’elles penseraient de Panther ?
De toute façon elle avait jamais vu la mer. L’assurance répétée de ses parentes qui lui expliquait que si, elles y avaient été toutes les trois quand elle avait 2 ans, ça lui redorait pas le moral. Le seul galet qui lui restait sur la plage de ses souvenirs se résumaient à des réminiscences paisibles mais vagues et douloureusement inaccessibles. Elle y repêchait parfois une sensation. Le vertige qui accompagne les derniers pas au sortir de l’eau quand les vagues blanchâtres se retirent en rigoles de sable dans le sens inverse de la marche. On regarde ses pieds et on sent qu’on peut tomber sans savoir de quel côté puisque plus rien n’existe à part ce champ de vision, ces pieds et l’eau qui charrie de petites rivières improvisées.
Sortir de l’eau est toujours synonyme de contrainte. Elle n’aurait jamais dû en sortir ce jour là, il y a 23 ans. On avait dû la sommer de se sécher pour ne pas tomber malade. Mais qu’est-ce qu’un rhume comparé à l’océan ? On ne devrait jamais quitter les vagues. On devrait voir et respirer sous l’eau. On devrait y admirer le coucher de soleil depuis le fond en espérant que l’astre y soit visible encore quelques minutes une fois sous l’horizon. Il aurait fallu qu’elle reste dans la mer. Peut-être qu’elle aurait pu retarder la pollution.
Elle n’était jamais retournée voir l’océan. Elle avait peur d’être triste en voyant sa couleur. C’était stupide parce qu’elle était de toute façon déjà abasourdie et abattue des nouvelles qui filtraient sur les radios fantômes. Toujours moins gaies et plus alarmantes concernant la faune et la flore marines. Les baffles imperméables de sa Watercar crachaient la fonte des glaces et les inondations, les marées noires et les continents-plastique. Pendant une seconde, elle haïssait sa voiture, la jugeant et se jugeant elle-même partiellement responsables. Puis elle en voulait à l’humanité sans savoir sur quel.le coupable s’arrêter précisément, sans nom à retenir pour une hypothétique vengeance. C’était encore pire que de ne pas voir la mer.
Elle appréciait secrètement ses yeux bleu profond. Elle s’était faite tatouer l’iris quand elle avait reçu les clés de la voiture. Ça lui permettait de se penser comme un morceau du règne marin et de justifier son rapport mono-maniaque à quelque chose dont elle avait finalement peu fait l’expérience. Mais ce n’était pas « quelque chose ». La mer était une star et elle la fan adolescente. Elle n’envisageait pas qu’on lui demande de s’expliquer. C’était comme ça. Et puisque nulle cheminement rationnel ne s’imposait, ça devait signifier que son corps et son être tout entier venait de l’eau.

Pour soulager sa frustration, Panther se rendait parfois au MarFal. Un centre à l’apparence aseptisée dont les portes coulissantes opaques de l’entrée lui rappelaient les sex shops de luxe du quartier Sud. Le hall abondamment garni de LED bleues se targuaient en plus de pouvoir en varier la teinte au gré des arrivées. Elle se sentait importante en entrant. Peu importe si c’était du pur neuromarketing. Ça donnait envie d’inspirer pour « prendre un grand bol d’air frais » climatisé. En croisant les regards blasés des hôte.sse.s., la certitude de l’artifice du lieu calmait immédiatement ses ardeurs. Panther avait développé un relation ténue avec certain.x.e.s et connaissait leurs prénoms à tou.t.x.e.s. Elle échangeait en général quelques mots et quand l’attention semblait au rendez-vous, elle déblatérait des histoires d’aventures sur des rivages plein de dunes et de tempêtes qu’elle concoctait sur la route pour venir. Elle aimait à penser qu’elle était la seule cliente à les faire rire. Elle savait aussi être la seule à ne pas demander l’option UV et que ça la rendait mystérieuse à leurs yeux. Ou alors on pensait que c’était par simple économie. L’option coûtait plus cher en fonction de l’indice désiré. Elle, la lumière du soleil lui suffisait, pas besoin de bronzage. Peut-être que les personnes de l’accueil s’en foutaient royalement après tout. Personne ne touchait de commission en dessous de l’indice 4 et ce job semblait tellement détestable que sa tête de pingre ne devait leur provoquer aucune émotion excessive. À défaut d’autre interaction, elle se contentait donc de remercier leur patience quand elle débitait ses inventions, accoudée au comptoir en résine incrusté de coquillages peints. Une maigre compensation, pensait-elle, de l’argent qu’elle ne leur rapportait pas.
Panther demandait toujours la même cabine depuis qu’elle les avait toutes essayées, et s’étaient trouvée déçue de constater qu’elles étaient toutes pareilles. Tant qu’à trouver l’identique, autant que ce soit géographiquement au même endroit. Ça ne collait pas. La mer, elle, n’était jamais deux fois la même en un lieu. Mais ça faisait l’affaire.
Son île se situait à droite d’un vestiaire en lambris bleu et blanc. Façon cabine de plage sans le vent sinon le ronronnement de la clim au dessus du faux plafond. Elle débarquait aux heures creuses et tenait sa serviette éponge fétiche et élimée. Maintenant qu’elle la dépliait le temps de se changer, elle se rendait compte de la radinerie qu’elle renvoyait. Son maillot déjà enfilé à l’avance, des claquettes décolorées, pas d’option transat. Peu importe.
Panther préférait ne croiser personne. Inévitablement elle se retrouverait à se comparer à la clientèle friquée venue s’assombrir l’épiderme ou pire, on lui demanderait si elle venait souvent en se basant sur la teinte brune naturelle de sa peau. Ici passaient régulièrement des Coupelain.es. Elle évitait leurs faces gorgées de vitamine D prêtes à s’engouffrer de nouveau dans leur globe « paradisiaque » pour « dignitaires ». « Dignitaires »… Dignes de quoi ?
Elle ressassait ces considérations de vocabulaire en ajustant son une pièce. Une fois passée la porte de cockpit qu’on lui avait attribué, tout s’évanouissait.
Ses pupilles dilatées dans les lumières tamisées du vestiaire se ratatinaient en un instant. Un réajustement physiologique qui ressemblait à une mini dose de psychotrope. Elle balançait ses claquettes et fermait les yeux. En enfonçant le bout de ses orteils dans le sable, elle n’avait même pas besoin de faire abstraction de la courte distance qui séparait les parois de la cabine. La brise aléatoire — une option moins onéreuse qu’une vitesse de vent constante et décidée en amont — éparpillait ses mèches courtes. Elle allongeait le haut de son corps sur la serviette et l’autre moitié dans le sable. Elle frottait des talons la surface sèche de sa plage artificielle jusqu’à atteindre un semblant de couche humide. Ainsi, son corps bientôt réchauffé se tempèrerait de manière inégale. La poitrine palpitante et les pieds frais. On entendait les cris des mouettes et le bruit blanc des vagues sorties de nulle part. Enfin sorties du mur qui servaient de support de projection du paysage vidéo du lieu qu’elle avait choisi. Les parois arrondies offraient une vue panoramique satisfaisante. Les prises de vue avaient été réalisées avec soin et elle ne pouvait leur reprocher leur manque de détails.
Panther avait deux ou trois spots favoris, tous prélevés dans la même région. Celle où apparemment elle avait mis les pieds un jour entre son deuxième et son troisième anniversaire. L’eau y demeurait agitée et cristalline. Une fois par an, elle s’autorisait une tempête mais ça aspirait une grande partie de son pécule parce que la technicienne devait la programmer spécialement. Les endives de la Coupole détestaient les intempéries, donc ça ne faisait pas partie des algorithmes.
Pour l’instant il faisait beau. Panther s’étirait debout face à l’immensité, prête à plonger. Elle ne pouvait exécuter qu’une vingtaine de brasses coulées. Après, demi-tour. À force elle avait pris l’habitude et pouvait se convaincre du moment où elle devait tourner comme si ce fut naturel. Elle arrivait à oublier que sa mer à elle avait une fin et faisait mine de rebrousser chemin parce qu’elle n’avait plus pied. Elle se demandait si elle aurait eu peur dans la vraie mer. Nager sans la certitude de la nature de ce qui se trouve sous son abdomen. Elle flipperait sûrement. Elle adorerait avoir ces jetons-là et se pisser dessus pour se réchauffer et s’assurer qu’elle était encore maîtresse d’elle-même. Ceci dit, ici elle pissait chaque fois qu’elle entrait dans l’eau. Avant de bénir le système de filtrage. Elle venait pas pour prendre un bain de pisse de dignitaires.
Son corps s’engourdissait avalé par ce liquide froid et transparent. L’eau glacée l’électrisait et saisissait ses cuisses comme les deux mains d’une amante noyée de désir. Ses tétons tendus d’impatience attendaient stoïques que la marée-logiciel les gobe. Les rayons du soleil se diffractaient dans tous les sens en rencontrant les molécules d’H2O.
Panther abandonnait son maillot. Il n’y avait pas de caméra ici. Un bonus exigé par des visiteurs et des visiteuses prestigieuses avec du pouvoir et « donc » une intimité jugée légitime. Elle se délestait donc de ce morceau de lycra superflu, de l’eau jusqu’au cou. Elle le laissait couler puis plongeait avec entrain pour le rattraper avant qu’il ne touchât le fond, les fesses affleurant à la surface, fouettées par les vents. Les différences de textures et de températures lui donnaient de petits frissons de plaisir. Aucune caméra n’aurait pu voir ça.
Les caméras ne pouvaient pas distinguer non plus sa façon de laper discrètement le dessus de l’eau pour sentir son goût salé et les cristaux de sel s’agripper à la pulpe de ses lèvres. En regagnant sa serviette, elle humectait lentement sa bouche pour récolter la fleur de sel stockée dans chaque gerçure. Elle ne léchait pas tout d’un coup pour conserver une réserve. Allongée sur le dos à présent, elle sentait le soleil de synthèse lui cuire les seins. Elle se tartinait d’écran solaire. Il en fallait souvent en ville mais elle n’en mettait pas. Une sorte de revanche personnelle contre l’effet de serre. Une rébellion à sa défaveur mais elle s’en foutait. Ici, elle était protégée des UV. Et ici, elle voulait que le sable se colle à ses mollets endormis, que la crème devint une pâte exfoliante qu’elle continuait à étaler sur son ventre. Acharnée à poncer ses mains déjà sèches.
Panther se posait ensuite coudes en arrière et observait l’horizon en passant de temps en temps sa langue sur sa bouche gonflée par la chaleur et piquante de sel.
Elle se demandait ce que ça provoquait d’être vue nue ou même regardée sur une plage par d’autres personnes inconnues. Il paraît que ça se faisait beaucoup avant. Elle ne serait pas timide, pensait-elle. Peut-être même qu’elle ferait des rencontres. Elle extrapolait les diverses possibilités et antécédents de plages nudistes des précédentes décennies, remontait en général aux années 90 et s’endormait. Panther s’autorisait dans ce lieu le sommeil lourd et étourdissant qu’elle avait du mal à trouver ailleurs.
Au réveil, elle commençait le livre érotique qu’elle avait emporté. Un court roman écrit dans une langue étrangère qu’elle comprenait assez pour la lire. Son lexique lacunaire lui permettait de passer outre certains détails qu’elle fantasmait alors à sa guise. Encore engourdies de sommeil, ses paupières frétillantes observaient en complices les pages qui finissaient de s’échapper doucement de ses doigts tandis que Panther retombait dans une rêverie semi-comateuse.
Le retour à la réalité, était aussi brutal que décevant. Elle aurait aimé trouver à ses côté une des filles dont elle avait rêvée. Elles partiraient marcher le long des dunes jusqu’aux criques sauvages et crénelées qu’on devinait derrière la presqu’île. Elle rencontrerait la tenancière lesbienne d’un bistrot de plage. Elle l’aurait reconnu et aurait sorti une photo de Panther et ses mères le jour de son unique séjour balnéaire. Elles auraient bu des bières très froides en riant avec la patronne qui raconterait un tas d’anecdotes sur ses années au placard dans le village de pêcheurs. Revigorée, Panther et son acolyte iraient baiser dans l’eau pendant longtemps et elles n’auraient pas froid. L’excitation serait accompagnée de vagues courtes et puissantes qui les recouvriraient presque. L’embrun aspergerait leurs lèvres déjà collées les unes aux autres, mêlant à la salive le goût des algues. Les courants emporterait à chaque mouvement un peu de leurs liquides à elles. Une contribution perdue dans l’océan qui deviendrait la mer.
Panther remerciait la grammaire de sa langue qui faisait de l’eau et la mer des noms féminins. Féminin pluriel aurait été encore plus chic mais elle s’en accommodait. Elle prolongeait ses fantasmes marins et sensuels en se masturbant, étendue au bord de l’eau. Le ressac et ses mains la pénétrait doucement tandis que son clitoris se gonflait au rythme des bourrasques tièdes. Elle respirait fort et calait son souffle sur les allers et venus de l’eau. Sa poitrine s’emplissait de toutes les particules de l’air comme si tout entière elle voulait devenir la mer et ne jamais pourvoir s’en dissocier. Elle aimait que ses gémissements ne troublent pas ni le vent, ni les vagues. Le soleil était en fait une femme qui l’épiait, excitée et l’encourageait en lui susurrant des phrases salaces.
Ce qui l’arrêtait c’était le clignotant vert près de la porte de cockpit.
Son temps était terminé.
Game over.
Retour aux avenues trop droites, aux courants d’air gris et aux marées de caisses aux heures de bureau.
Elle ne regardait personne en traversant les grandes portes opaques.
Elle payait à l’avance justement pour éviter de devoir échanger avec des êtres humains après son voyage.
Elle larguait les amarres dans sa Watercar et fonçait jusqu’au lac le moins sale gisant derrière la forêt des Forestières. Là, elle faisait des grandes embardées sur l’eau, accrochée au volant de sa voiture amphibie comme à la barre d’un catamaran prêt à dessaler.

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